La question de la route qui désenclavera la vallée du Zanskar en passant par le Ladakh revient souvent… Dans la bouche des voyageurs, c’est pour déplorer la fin annoncée d’une terre préservée. Mais dans celle des locaux, c’est pour dénoncer une attente insupportable : combien d’années d’isolement encore ? Combien de morts sur la Chadar en hiver ? Combien d’années sans voir leurs enfants ? Combien de fois, encore, partir à Leh avant l’hiver pour accoucher avant que la route ne soit bloquée ? Combien de morts enfin faute de soins donnés en urgence, car il faut, au meilleur de la saison, 24h non stop pour atteindre l’hôpital sur des pistes cahoteuses ?
Cet hiver encore, un jeune étudiant a perdu la vie sur la Chadar. Il rejoignait Leh en février, pour prendre un avion qui l’emmènerait jusqu’à Jammu… La Chadar n’est pas une route facile. C’est un fleuve tumultueux figé par les glaces en hiver. La prise est inégale, la fonte l’est tout autant. La surface est imprévisible et le courant glacé intransigeant… Actuellement, pour relier le Zanskar au reste du monde, il n’y a que la route Padum-Kargil, fermée de octobre à mai à cause de la neige qui bloque le col du Pensi La (4400 m). En hiver, les hélicoptères de l’armée effectuent parfois des rotations et ils font bénéficier la population de quelques places à leur bord, souvent pour que les enfants puissent rentrer dans leur villages ou en repartir après les longues vacances d’hiver. Mais cela reste exceptionnel : n’oublions pas qu’à cette altitude (le moindre col est à 5000 m), les vols en hélicoptère sont délicats…
7 mois d’enclavement sans structure médicale, sans ravitaillement, sans échange de nouvelles avec des proches de part et d’autre de la montagne… C’est pour ça que, en janvier, lorsque le fleuve gèle, les locaux montent des expéditions : ils font transiter sur le fleuve du bois pour se chauffer, des lettres, des denrées, des écoliers… et jusqu’à présent, « quelques » touristes pour faire rentrer aussi un peu d’argent ! (voir à ce sujet l’article : « Chadar… nouvelle autoroute touristique ?« )
La future route Nyemo – Padum – Darcha (sur la route de Manali, voir carte), tant attendue, se construit par tronçons depuis plus de 10 ans. Elle progresse comme le travail de Sisyphe : démantelée à chaque accident climatique… En 2016, un glissement de terrain avait fait barrage sur la rivière Tsarap, en amont du fleuve Zanskar. Il avait fallu faire sauter à la dynamite cette retenue d’eau gigantesque avant qu’elle ne cède naturellement sans crier gare… Mais même sous contrôle, la vague a emporté une bonne partie de la route, les ponts et des maisons… Un accident parmi d’autres qui illustre que tout est toujours à refaire, sauf peut-être les trous dans la montagne qu’il a bien fallu creuser pour faire passer une route dans des gorges inhospitalières…
Alors que la fin des travaux était attendue, depuis 2000, pour les années 2011-2012, puis repoussée chaque année, on parle maintenant d’une échéance en 2021 ! Certes, la route relie déjà certains villages entre eux. Des routes de trek mythiques n’existent plus et il faudra en inventer d’autres, pour le plaisir de marcher dans des paysages somptueux, mais la population locale attend sa route !
A l’heure ou les tensions avec le Pakistan et la Chine sont très présentes, cette nouvelle voie est aussi une question de stratégie militaire : lors de la guerre de Kargil en 99, la route Leh-Srinagar était totalement bloquée et si un nouveau conflit arrivait dans les mêmes conditions d’enclavement (tous les accès passent par des cols de très haute altitude), il mettrait le Ladakh en grand danger. Grâce au nouveau tunnel du Rothang La qui permet d’éviter le premier grand col entre Manali et Leh, la future route qui reliera Darsha à Leh via le Zanskar évitera également le Taglang La, à 5328 m (le deuxième col carrossable le plus haut a monde), et permettra le désenclavement du Zanskar, en particulier en hiver.
La route est bien avancée mais il y a toujours des tronçons manquants. Les locaux accusent les politiciens du Kashmir de ne pas mettre la priorité sur ce problème, au prétexte que la population concernée entre les districts de Leh et de Kargil (dont dépend le Zanskar), ne représente que 274.288 personnes* (source Stawa 2018) soit moins de 9% de la population de l’état du Jammu et Kashmir pour, cependant, un peu plus de 50% du territoire… Le Zanskar, avec ses 13.486 habitants* (source Stawa 2018) étant encore plus marginal dans cette balance (elle représente moins de 10% de la population du district de Kargil). Il faut savoir que le Ladakh a été divisé en deux districts en 1979. Le Zanskar souhaite depuis longtemps être indépendant dans cette répartition sectorielle pour peser davantage dans les négociations le concernant, car il se sent peu entendu. Il continue pourtant d’espérer que cette route sera bientôt ouverte, pour sauver les vies de ses enfants… Mais les travaux, bien engagés, seront achevés tôt ou tard mais comme toutes ces routes d’altitude, elles resteront soumises aux aléas climatiques : sur le toit du monde, rien n’est jamais acquis, tout n’est qu’ « impermanence » !…