Si le tourisme n’a cessé de croître au Ladakh depuis son ouverture aux étrangers en 1976, l’histoire ne suit pas tout à fait la même courbe dans le district de Kargil, et les autorités, comme la population, s’interrogent.
Kargil se situe au carrefour stratégique entre Leh, le Zanskar et Srinagar. Elle était un croisement phare de la route de la soie, mais est aujourd’hui davantage un lieu de passage obligatoire qu’une destination prisée…
Si l’on veut reprendre l’histoire du tourisme à Kargil, on peut remonter aux années 70. La ville était alors sur la route du « pèlerinage » hippy Nepal-Rishikesh qui se prolongeait jusqu’à Manali et au delà jusqu’au Kashmir en passant par Leh et Kargil, pour les plus téméraires ! A cette époque, les affaires marchaient bien pour les rares installations touristiques.
Dans les années 80, les touristes étaient plutôt des aventuriers qui avaient peu d’exigences de confort. Ils recherchaient la beauté des paysages, l’authenticité de la culture, la simplicité des relations avec la population. Ils venaient pour de longs treks dans des conditions rustiques.
Mais cette période prit fin en 1989 lorsque l’insurrection démarra dans la vallée du Cachemire. Beaucoup d’hôtels restèrent alors fermés pour les 10-12 années qui suivirent.
Les choses ont commencé à changer en 2003 avec l’intérêt nouveau des indiens pour le Ladakh. Touristes de « jeep safari » (découvertes en voitures), ils se sont intéressés à Kargil comme à d’autres terres de la région.
Malheureusement, pour les étrangers, Kargil reste une simple destination de transit et ne fait pas figure de pôle d’attraction. Il faut dire que ce district est à majorité musulmane et que les touristes occidentaux sont souvent attirés par l’aura bouddhiste du Ladakh, qu’ils appellent encore souvent « le petit Tibet ».
Cette question religieuse n’est pas anodine dans le non-développement touristique de Kargil. Dans les années 70-80, ni les locaux, ni les étrangers ne voyaient de problèmes dans la cohabitation des Musulmans et des Bouddhistes, historiquement installés dans ces hautes vallées himalayennes. Pourtant, aujourd’hui, les touristes ne regardent pas les Musulmans avec la même curiosité culturelle et les Bouddhistes eux-mêmes, dopés par le stress international, se montrent plus méfiants à leur encontre, ce qui n’encourage pas les partenariats inter-régionaux !
Dans ce contexte, les Musulmans de Kargil se sentent lésés dans la répartition de la manne touristique, qui bénéficie presque exclusivement au district de Leh. Ils se défendent très maladroitement en créant des blocages et en adoptant des règles qui interdisent aux voitures immatriculées à Leh, transportant des étrangers, de franchir Kargil ! La ville ne joue plus son rôle de plaque tournante : elle devient un barrage !
Les voyageurs étrangers se retrouvent otages, malgré eux, de cette guerre d’empoigne : contraints de changer de voiture pour poursuivre leur voyage ! Sauf si, à leur départ de Leh, on leur a choisi une voiture immatriculée à Kargil ou Srinagar…
Les Kargili essaient d’instaurer des monopoles pour gagner leur part par la force mais ce comportement les dessert fortement dans leur entreprise de séduction touristique. Ils sont perçus comme peu accueillants et les autorités doivent redoubler de campagnes de publicités pour montrer la richesse du patrimoine de Kargil. Si l’on ajoute à cela l’instabilité et les tensions venues de Srinagar qui peuvent, du jour au lendemain, bloquer toute la zone, vous avez le cocktail idéal pour dérouter le touriste le plus motivé !
Le patrimoine de Kargil
Et pourtant, Kargil, ex-plaque tournante de la route de la soie, regorge de richesses et de paysages somptueux ! C’est ce patrimoine que le département du tourisme essaie de réhabiliter alors qu’il a été délaissé durant de si longues années !
Prenons l’exemple des « bouddhas du futur ». A Mulbek, peu après Kargil sur la route de Leh, toutes les voitures s’arrêtent pour admirer la superbe statue de Chamba (bouddha dit « du futur »). Mais combien savent qu’il y a 4 bouddhas disposés selon les 4 points cardinaux autour de Kargil ? Celui de Mulbek est à l’est. Celui du sud est à Sankhu, (et est encore assez connu), mais celui de l’ouest est en morceaux (beaucoup plus petit) et celui du nord, à Apati, méconnu, est encore plus difficile à trouver.
Il en est de même pour d’autres lieux tels que forteresses, palaces et autres statues totalement délaissées. Même l’organisation du ministère de la culture «archaeological Survey of India » n’a pas su voir l’importance de ce patrimoine et n’a développé aucune structure locale pour le préserver et le remettre en état. Certaines ONG internationales ont fait des rapports mais les autorités locales se plaignent que leurs rédactions soient en allemand ou en français et donc inaccessibles pour une compréhension locale, qui pourrait permettre de prendre les choses en main…
Un monastère tel que celui Shergol, troglodyte, est absolument superbe mais presque impossible à visiter car la clé de la porte est au fond de la poche d’un moine qui, comme tout moine authentique, se balade beaucoup !
La vallée de Sapi, récemment désenclavée par une belle route vaut elle aussi le détour mais proche de Kargil elle est peu valorisée…
Longtemps, Kargil n’a servi que de point de départ aux expéditions d’alpinistes venus gravir les sommets à plus de 7000 m du Nun et du Kun. Cette période glorieuse se situe, elle aussi, entre les années 30 et 80 mais la région n’a pour ainsi dire rien développé pour les touristes pendant tout ce temps si ce n’est quelques « tourists bungalow », établissements publiques d’hébergement touristique, peu chers, au confort propre et modeste, et quelques hôtels privés de transit.
Récemment, on a valorisé le Hundermann-Brok* et le Central Asian museum**, d’un très grand intérêt historique et culturel mais ces pôles restent mal connus et pas assez nombreux pour inciter à séjourner et rayonner autour de la ville.
Un développement touristique à promouvoir
Alors, Kargil est-elle condamnée à n’être qu’un pivot pour orienter trekkeurs et alpinistes, attirés dans la région par les agences de Leh ? Aucune agence locale n’a réellement misé sur ce potentiel de la marche. Question de culture ? De priorité politique ?
Certes, les avions n’arrivent pas (encore) à Kargil mais dans une logique d’acclimatation, il serait tout à fait conseillé de s’échapper rapidement de Leh pour aller séjourner à Kargil (2600m) quelques jours afin de s’acclimater dans de meilleures conditions…
Le département du tourisme, qui existe ici depuis 1974, tente de vanter l’intérêt de la région à travers des brochures, des films documentaires, cartes de trekking etc. Alors que les brochures n’étaient disponibles jusqu’à présent qu’en anglais et sur place, le site web s’est modernisé (http://jktourism.org/destinations/ladakh/kargil.html) et s’affiche en 8 langues dont le français. Une traduction bien pratique et suffisamment claire pour donner un bon avant goût de la région !
Par ailleurs, le « J&K tourism office » cherche à se rattacher aux pôles d’attractions existants, en essayant par exemple de connecter la vallée de la Suru (au sud de Kargil sur la route du Zanskar), au fameux pèlerinage d’ Amarnath Yatra***. Ils aident aussi les entrepreneurs locaux à se développer sur le secteur du tourisme.
Les autorités ont réellement pris conscience de la nécessité de réhabiliter, restaurer et valoriser le riche patrimoine autour de Kargil (forteresses, monastères, statues…) tant pour re-dynamiser l’économie que pour préserver un héritage à transmettre. Ainsi, au delà des efforts économiques et promotionnels de la région, ils ont entamé un travail de fond avec le lancement de missions d’exploration dans le district pour identifier les sites à préserver. Les jeunes croient en la force du bouche à oreille pour contrer le stéréotype de « zone de guerre » qui semble coller à la peau de Kargil.
Toutes ces initiatives commencent à avoir un impact car du côté des touristes, on cherche aussi de nouvelles aires d’exploration, peu fréquentées, et en cela, Kargil a une belle carte à jouer !
Reste à convaincre les plus conservateurs à s’ouvrir aux échanges entre Kargil et Leh pour permettre de visiter cette région sublime dans les meilleures conditions…
Pour aller plus loin :
Hundermann Brok est un village reculé du district de Kargil, à la frontière du Pakistan, et abandonné après la guerre de 1971. Ce site est maintenant classé au patrimoine historique de la région et abrite un musée de la mémoire, « Unlock Hundermann », qui raconte la vie de ces familles frontalières.
est aussi appelé MUNSHI AZIZ BHAT MUSEUM, en hommage au commerçant de la route de la soie, du même nom. C’est le musée privé de deux frères, qui, à travers des objets, des documents d’époque, des photographies ou des costumes, souhaitent témoigner l’histoire singulière de lieur grand-père et, à travers lui, de l’histoire de Kargil, quand elle était une plaque tournante d’échanges sur cette route de commerce historique.
Les grottes d’Amarnath, se situent à une centaine de kilomètres de Srinagar, sur la route de Kargil. C’est un des plus célèbres sanctuaires hindous, dédié au Dieu Shiva. Cette grotte sacrée serait connue depuis des siècles et y accueillerait des pèlerins depuis le XIIème siècle, au moins ! Il attire encore chaque année quelques 400.000 personnes durant les 45 jours dédiés au pèlerinage en juillet-août.