Il n’est pas si simple de retrouver les traces de l’Histoire du Ladakh… On entend volontiers des récits décrivant une terre recouverte d’eau, une embarcation qui aurait emporté les survivants… puis la mer se serait retirée, laissant pour preuve de sa présence des moraines et des fossiles réellement visibles… Une Histoire qui en rappelle une autre mais qui remonterait à quand ? La légende ne le dis pas…
Par ailleurs, on trouve des sites de gravures rupestres, du côté de Domkhar et de Skyurbuchan étonnamment situés au portes du pays Dha Hanu où l’on trouve aujourd’hui encore, un peuple emblématique (et endémique) : les aryens…
Dans ce pays peuplé de Dieux et de légendes, où le bouddhisme « orthodoxe » a tenté de lutter contre les démons populaires, il est difficile de distinguer ce qui provient du mythe et de la réalité.
Les origines…
L’ethnologue, Patrick Kaplanian, nous parle des origines en ces termes :
« Nos principales sources d’informations sur les temps anciens sont appelées « Chroniques du Ladakh ». Ces textes sont bourrés de légendes et pseudos événements présentés avec tout le sérieux d’une chronique historique.
On est à peu près sûr que le pays était bouddhiste au début de l’ère chrétienne, et peut-être même avant, aux époques Kushan et Maurya ».
Le bouddhisme semble donc ancien au Ladakh, même s’il n’est pas avéré sous sa forme lamaïste (tibétaine) qui ne date que du VIIème siècle après J.C. ». (*extrais des Guides Peuples du Monde sur le Ladakh)
En tout état de cause, lorsque l’on se plonge dans les pérégrinations des grands maîtres bouddhistes (tel que Padmasambhava…) ou même du Bouddha shakyamuni lui-même et de ses textes qui ont été traduits et transportés à travers le Ladakh, on découvre une vraie histoire, forte intéressante dans les influences qu’elle a pu avoir sur cette terre. Ce n’est pas pour rien qu’au Ladakh, ce « pays des cols » (La = col , dakh = pays), la plupart des écoles bouddhistes sont représentées dans les monastères qui y ont trouvé racine.
Mais c’est sans compter sur l’histoire des rois et royaumes du Ladakh !
Il faut savoir que dans chaque région (groupe de villages) au Ladakh, les personnalités les plus respectées sont, encore aujourd’hui, le Roi et l’astrologue…. Même si ces derniers n’ont plus aucun pouvoir politique officiel, ils sont les héritiers d’une longue histoire que les quelques lignes ci-dessous vont tenter de vous résumer. Aujourd’hui, il est encore possible de visiter plusieurs Palaces mais la plupart sont malheureusement partiellement ou totalement détruits.
« Au Xème siècle après J.C., régnait à Leh une dynastie de rois descendants du souverain mythique Kesar (peut-être une déformation de César ?), le héros de la grande épopée locale. Le reste du pays était divisé en petites principautés dont les chefs avaient le titre de rois ou des titres propres (bompos) La monarchie était de droit divin car on admettait que le roi des Dieux avait envoyé un de ses fils régner parmi les hommes ».
(…) « Vers l’an mil, un arrière petit-fils de Langdarma, roi du Tibet, pris le pouvoir au Ladakh. Mais jusqu’au XIVème siècle, nous ne savons pas grand chose de l’histoire du pays… A cette époque, les Tatars envahissent le Cachemire, brûlent Srinagar et massacrent ou réduisent en esclavage la population. Puis, à court de vivres, les envahisseurs tentent de quitter la région pendant l’hiver et périssent de froid.
(…) Vers 1400, deux frères se partageaient la royaume : Lde, l’aîné, aurait dû être le seul à régner, mais son cadet, Draspa, s’installa dans le bas Ladakh. Le Ladakh était ainsi soumis à l’autorité des deux villes de Basgo et Timusgam, où l’on voit encore aujourd’hui les ruines de palais et forteresses. La légende fait de Lde un roi pieux que son caractère opposait à Draspa, homme fier et belliqueux, supportant mal de ne régner que sur une moitié du pays. Il fit ériger de nombreux monastères.
Durant son règne, prit place la réforme du grand Tsongkhapa qui voulut, en créant l’école des vertueux (Gelukpas), revenir aux préceptes originels du bouddhisme [et interdire notamment le système des castes]. « *
(…) Vers 1470, c’est la dynastie des Namgyals qui prit le pouvoir. Passons ici sur les conflits fratricides des deux fils du fondateur et retenons que Tsewang, son petit fils, fut sans doute le premier grand roi de la dynastie, réussissant à « restaurer l’autorité du pouvoir central, et à reconstituer un royaume digne de ce nom. Jamyang Namgyal, son jeune frère, lui succéda de 1560 à 1590 et inaugura son règne par une expédition contre les roitelets de Chigtan et Purig, coupables de s’être convertis à l’islam sans y être forcés »*.
Dans les combats que livrent les Rois contre leurs ennemis Baltis** , Kashmiris ou Afghans, on ressent l’origine des peurs qui animent toujours aujourd’hui les bouddhistes du Ladakh, à savoir les conversions à l’islam de ses habitants, par le mariage notamment. Au delà des croyances religieuses qui sont respectées, c’est la peur du nombre qui semble dominer sur des terres où la politique est encore affaire de confession (et les « privilèges » qui y sont liés également).
Jamyang Namgyal est la parfaite illustration de ces craintes tout à fait actuelles : « sorti vaincu de cette expédition, les baltis conquirent le pays et le mirent en prison. C’est là qu’il rencontra la fille de son ennemi (Ali Mir) et en tomba amoureux. Alors qu’elle était enceinte, le père de la jeune femme fit un rêve : « un lion pénétrait dans le corps de sa fille ». Il en déduisit qu’elle allait donner naissance à un fils qui serait appelé Sengge (=Lion) Namgyal et serait un grand roi. Il rendit alors la liberté à Jamyang et Sengge Namgyal devint le roi le plus célèbre du pays, de 1590 à 1620. »
Mais ce serait faire la part trop belle à ce couple de Roméo et Juliette et au père musulman. Alors, pour sauver la face, les lama racontèrent que l’épouse de Jamgyal n’était autre que la Tara blanche (la déesse épouse de Chenrezig, le bouddha de la compassion. Tara est un bodhisattva femme, c’est à dire un bouddha réincarné pour aider les êtres à les amener vers l’éveil). Cette ruse empêcha un début d’assimilation du Ladakh à l’islam.
Ainsi, la tentative d’Ali Mir d’islamiser le Ladakh par un mariage fut un échec puisque son petit fils, Sengge Namgyal, fils de son ennemi et de sa fille, consacra la plus grande partie de son règne à consolider la foi bouddhique de son pays, grâce à son maître, Staksang Raspa, le fondateur du monastère de Hemis. Sengge Namgyal fit construire le fameux Palace de Leh, le monastère à Basgo (Maitreya) et ceux de Hemis, Chemre, Trashigang (dans le Tibet « actuel » et Hanle (de confession Drukpa). Il restaura ainsi le prestige culturel et religieux du pays et entama une œuvre de conquête dirigée vers l’Est (provinces de Rudok et Guge au Tibet)
Deldan Namgyal, son successeur, entreprit de nouveau une conquête vers l’ouest et le Baltistan. Il ajouta aux prestiges restaurés par son père, celui de la puissance politique .
A une époque où la toute puissance s’acquière par les conquêtes de territoire, le roi suivant, Deleg Namgyal (1640-1680) fut vaincu par une armée tibéto-mongole qui atteignit Basgo. Il demanda de l’aide au roi moghol Shah Jahan (le constructeur du Taj Mahal) qui régnait alors sur Delhi et le Cachemire entre autres. Celui-ci accepta (et repoussa l’ ennemi jusqu’au lac Pangong) en échange d’une conversion du roi vaincu à l’islam. Il dû également changer de nom et accepter la construction de la première mosquée de Leh.
Ses successeurs redevinrent bouddhistes. Les rois suivant n’eurent pas le même prestige et l’Histoire n’en tire pas de « belles histoires » !
L’arrivée des anglais et la domination Sikh et Dogra
« C’est en 1820-1822 qu’eut lieue la visite de Moorcroft, envoyé par la compagnie des Indes Orientales. Il séjourna deux ans à Leh (…) et proposa au roi du Ladakh d’accepter un protectorat anglais pour se prémunir d’une invasion Dogra»*. Il faut bien comprendre qu’à cette époque, le Ladakh était (comme aujourd’hui d’ailleurs) au cœur de conflits de territoires…
Il faut dire que le Ladakh se situe entre les hauts plateaux tibétains et le Cachemire. C’est une route de transport stratégique pour approvisionner les plaines en laine Pashmina (produite par les chèvres à 4500m d’altitude et tissée au Cachemire, d’où son nom). Le secret de sa production fut longtemps gardé mais attisa les conflits puisque « tous les souverains qui contrôlaient la région du Cachemire, des Moghol aux Afghans, ont cherché à s’assurer le monopole de l’approvisionnement. »
A cette époque, la région du Cachemire était totalement sous domination sikh mais les dogras, groupe indo-aryen de la région du Jammu, étaient « mal soumis ». Aussi, le roi des Sikhs décida t-il de faire de Gulab Singh (un descendant d’une branche collatérale de la famille royale de Jammu) un allié : il lui offrit le titre de Raja en échange du rétablissement de l’ordre dans la région. Il devint ainsi l’administrateur héréditaire de la province et peu à peu, conquit d’autres territoires avec la légitimité de son titre.
Gulab Singh nomma Zorawar Singh comme commandant en chef des troupes dogras, ce qui lui permit encore d’accroitre son territoire jusqu’au Ladakh où le roi devint le vassal de Gulab Singh, puis de soumettre le Zanskar à son tour. « En 1840, les dogras avaient fermement établi leur autorité sur le Baltistan et le Ladakh et se préparaient à de nouvelles conquêtes après avoir bâti le royaume du Jammu. »
Mais en 1842, après avoir tenté de conquérir le Tibet pour créer un front anti britannique avec tous les territoires himalayens, les dogras durent abandonner, vaincus par le froid. Dès lors, les rapports de force changèrent vite et les anglais se retournèrent contre les sikhs. Gulab Singh retourna sa veste et troqua sa vassalité envers les sikhs contre un vague protectorat britannique. Son royaume engloba alors le Baltistan le Ladakh, le Jammu et la vallée du Cachemire, donnée par les britanniques pour le remercier de sa neutralité bienveillante. Le « Jammu et Cachemire (J&K) » était né.
A la suite de quoi, les britanniques envoyèrent une mission pour rencontrer les chinois et délimiter la frontière mais les chinois ne vinrent pas au RdV et encore aujourd’hui, indiens et chinois ne sont pas d’accord sur le tracé de la frontière.
L’indépendance de l’Inde et l’héritage du conflit indo-pakistanais
1947 sonne l’heure de l’indépendance pour l’Inde. La région du Jammu & Kashmir (comme toutes celles des Indes anglaises), frontalière entre l’Inde et le nouvel état musulman Pakistanais, dû choisir son camp. Le maharajah hésitât, provoquant le premier conflit indo-pakistanais. Le Ladakh et le Cachemire restèrent indiens, Gilgit, Skardu et Hunza, ainsi qu’un morceau du Cachemire passèrent en zone pakistanaise. Une bande de terre au delà de la ligne de crète de la chaine du Karakorum sera cédée par le Pakistan à la Chine. Quant- au haut plateau de l’Aksai Chin, il est toujours disputé entre l’Inde et la Chine.
C’est de cette époque que date la fermeture du Ladakh et du Zanskar aux étrangers et son isolement qui le cantonnera de longues années durant dans un esprit que beaucoup ont qualifié de « médiéval ». Il faudra attendre 1976 pour que les frontières s’ouvrent de nouveaux aux étrangers et que, avec elles, se développe progressivement le tourisme.
Le Jammu &Kashmir bénéficie d’un statut spécial qui lui donne plus d’autonomie que les autres états de l’union indienne. Il y a des responsables politiques internes. Le Ladakh lui-même est composé de deux districts : Leh et Kargil (le Zanskar étant rattaché à Kargil pour des questions d’accessibilité essentiellement)
« En 1962, les chinois envahissent le Ladakh. C’est de cette époque que date l’effort d’armement de l’Inde dans cette région difficile d’accès. Mais l’Inde l’emporte très nettement et les frontières reviennent à la ligne de cessez le feu, comme avant. »
D’un côté une frontière convoitée par la Chine, de l’autre un état pakistanais persuadé que la partie indienne du Cachemire ne rêve que de rejoindre sa moitié pakistanaise… et entre les deux, une population ladakhi aux origines mêlées de bouddhisme et d’islam qui aspire à la paix… Le moins qu’on puisse dire, c’est que la situation n’est pas simple et sous l’apparence de la terre la plus sereine et revigorante du monde, persistent des tensions bien réelles qui éclatent au moindre incident, à la moindre vexation ou tension politique menée par des chefs parfois belliqueux, qu’ils soient bouddhiste ou musulman.
(**Baltisan : région située au nord-ouest du Ladakh, dans l’actuel Pakistan. Une petite partie du Baltistan , dont le village de Turtuk dans la Vallée de la Nubra, fut intégré au Ladakh après la guerre indo-pakistanaise de 1971. cf. carte)
NB : la plupart des informations compilées pour cet article sont issues du guide « Ladakh » de Patrick Kaplanian (ethnologue sur la région) et édité aux éditions Peuples du Monde.
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas une mais DES histoires du Ladakh. Le récit de … intitulé « Caravane tibétaine » de …en est un authentique. Il y raconte sa vie de commerçant, du Kashmir à la Chine en passant par ces terres isolées du Ladakh.